Du récit intime d’Annie Ernaux à la fantaisie débridée de Jane Austen, d’un Marivaux électrisé à une odyssée poétique signée Vaslav, la scène théâtrale déborde d’audace et d’émotions, entre gravité, humour et enchantement. Notre sélection de 4 pièces de théâtre.
From Annie Ernaux’s intimate storytelling to Jane Austen’s unbridled fantasy, from a charged-up Marivaux to a poetic odyssey by Vaslav, the theatrical stage overflows with boldness and emotion, balancing gravity, humor, and enchantment.
Le Jeu de l’amour et du hasard : Marivaux réinventé par le Collectif L’Émeute
Écrite en 1730, la pièce de Marivaux ne cesse d’interroger notre rapport aux conventions sociales et amoureuses. Le pitch est bien connu : Silvia et Dorante, promis l’un à l’autre, décident chacun d’échanger leurs habits avec leur domestique afin d’éprouver la sincérité des sentiments.Travestissements, quiproquos et jeux de pouvoir s’entremêlent frénétiquement.
Avec cette nouvelle mise en scène, Frédéric Cherboeuf et le Collectif L’Émeute parviennent à hisser cette pièce hors du musée théâtral pour en faire une œuvre vive, très drôle et profondément contemporaine.
La scénographie, très maline, exploite tout l’espace du théâtre et installe une atmosphère de fête populaire, entre guinguette et rock glam. Les anachronismes – un Arlequin glam façon Ziggy Stardust, une Silvia en pantalon, une Lisette en mariée décalée – ne sont pas de simples clins d’œil : ils viennent souligner la modernité des thèmes marivaudiens, sans jamais trahir le texte.
Ce qui marque, c’est l’énergie folle de la troupe. Tous les comédiens, premiers comme seconds rôles, contribuent à une partition collective d’une étonnante cohésion et leur complicité est palpable, donnant à l’ensemble une fluidité et une intensité qui emportent immédiatement le spectateur. On assiste moins à une simple relecture de Marivaux qu’à une véritable réinvention, portée par une joie de jouer communicative.
Cette version du Jeu de l’amour et du hasard prouve qu’un classique peut être à la fois respecté et dynamité. Elle confirme surtout la singularité d’une troupe qu’il faudra suivre de très près.
Written in 1730, Marivaux’s The Game of Love and Chance explores social and romantic conventions through disguises and misunderstandings. In his new staging, Frédéric Cherboeuf and the Collectif L’Émeute revitalize the classic with inventive scenography, playful anachronisms, and a festive atmosphere that blends tradition and modernity. The troupe’s contagious energy and cohesion turn the play into a joyful reinvention, proving that a timeless work can be both respected and reinvented.
Au théâtre des Mathurins jusqu’au 30 décembre 2025

Orgueil et Préjugés… ou presque : un grand huit théâtral irrésistible
Embarquer pour Orgueil et Préjugés… ou presque revient à monter dans un grand huit théâtral où chaque virage réserve une surprise. Les cinq comédiennes, toutes formidables , enchaînent les rôles avec une énergie folle, faisant défiler personnages et situations à une vitesse vertigineuse. Aucun temps mort : le spectateur est emporté dans un tourbillon qui mêle humour, folie et inventivité.
Le roman de Jane Austen, avec ses dialogues ciselés et ses intrigues sociales fines, sert de point de départ à cette adaptation déjantée. L’histoire est racontée du point de vue des femmes de maison, qui s’emparent avec ironie du destin de leurs maîtresses. Elizabeth Bennet et M. Darcy voient leur univers revisité par le second degré et l’absurde, parfois même par un humour légèrement graveleux, mais jamais vulgaire. Accompagnées d’une musicienne sur scène, les comédiennes font rebondir chaque situation avec turbulence et drôlerie, transformant chaque scène en un véritable tour de montagnes russes.
Signée Virginie Hocq et Jean-Marc Victor et mise en scène par Johanna Boyé, cette version française du succès londonien Pride & Prejudice (sort of) conserve la fantaisie d’Isobel McArthur tout en y ajoutant sa propre énergie pétillante. Le spectacle est une expérience jubilatoire : on rit, on s’amuse, on se cultive aussi, et on ressort avec le sourire accroché, impressionné par le talent hors norme de la troupe.
Une bien belle soirée où humour, culture et énergie se mêlent pour faire du classique de Jane Austen une aventure théâtrale décoiffante.
Boarding Pride and Prejudice… or Almost feels like stepping onto a theatrical rollercoaster where every turn brings a surprise. Five dazzling actresses juggle a whirlwind of roles and situations with boundless energy, creating a fast-paced mix of humor, inventiveness, and absurdity. Jane Austen’s novel provides the basis, but here the story is retold through the eyes of the household maids, who mockingly seize the destiny of their mistresses. Elizabeth Bennet and Mr. Darcy’s world is reimagined with irony, absurd twists, and flashes of cheeky humor. With live music on stage, every scene bounces with turbulence and hilarity. Co-written by Virginie Hocq and Jean-Marc Victor and directed by Johanna Boyé, this French version of Isobel McArthur’s London hit keeps its playful spirit while adding a fresh, sparkling energy. The result is a jubilant theatrical celebration—funny, clever, and exhilarating—that leaves the audience smiling in admiration of an exceptionally talented troupe.
Au théâtre Saint-Georges jusqu’au 3 janvier 2026

L’Événement : bouleversant
Adapter L’Événement d’Annie Ernaux au théâtre est un pari aussi audacieux que nécessaire. Marianne Basler, seule en scène au Théâtre de l’Atelier, relève ce défi avec une intensité et une sobriété bouleversantes.
Publié en 2000, L’Événement est l’un des récits les plus intimes et les plus marquants de l’œuvre d’Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022. Elle y raconte, avec le recul de plusieurs décennies, les trois mois de sa vie en 1963 où, étudiante de 23 ans à Rouen, elle découvre qu’elle est enceinte. Dans une France où l’avortement est encore illégal, elle se lance seule dans une quête désespérée pour trouver une “faiseuse d’anges”, au péril de sa vie et dans le silence imposé par la honte sociale. Ce texte cru et sans concession est à la fois l’histoire singulière d’une femme et le miroir d’un combat collectif.
La mise en scène choisie par Marianne Basler est d’une extrême sobriété : une chaise, une table, un projecteur qui éclaire la comédienne, toute de noir vêtue. Rien ne vient détourner l’attention du public. Le message est clair : se concentrer sur le récit poignant d’Annie Ernaux. Les mots sortent sans pathos, presque sans émotion apparente, mais c’est précisément cette retenue qui crée le choc. Le témoignage est brut, cru, dépouillé de tout artifice, et l’impact n’en est que plus saisissant.
Ce que l’on entend, c’est le récit d’une époque révolue où les femmes n’avaient d’autre choix que de risquer leur vie pour avorter clandestinement. On sort de cette pièce abasourdi, habité par cette certitude : non, décidément, ce n’était pas forcément mieux avant.
En résonance avec l’actualité – l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution française en 2024, mais aussi sa remise en cause dans de nombreux pays – cette adaptation rappelle la fragilité des acquis. Elle transforme le théâtre en lieu de mémoire et de résistance.
L’Événement, c’est une expérience intime, bouleversante et universelle, un rappel vibrant que le droit de choisir reste un combat vital.
Adapting Annie Ernaux’s Happening for the stage is both daring and necessary. Alone on stage at the Théâtre de l’Atelier, Marianne Basler delivers a moving and restrained performance of this deeply personal memoir. Published in 2000, the book recounts Ernaux’s experience as a 23-year-old student in 1963 France, when abortion was still illegal. Isolated and at risk, she seeks a clandestine solution, exposing both the intimate ordeal of one woman and the broader collective struggle. The staging is stark—just a chair, a table, a spotlight, and the actress in black—focusing entirely on the raw testimony. With no pathos, the restrained delivery magnifies the shock, underscoring the dangers faced by women forced into clandestine abortions. In light of recent debates on reproductive rights, including their protection in the French Constitution in 2024 and their erosion elsewhere, this adaptation resonates with urgency. More than a play, it is a powerful act of memory and resistance, a poignant reminder that the right to choose remains a fragile, vital battle.
Au théâtre de l’Atelier jusqu’au 19 octobre 2025

Vaslav : embarquement immédiat !
Journal de bord, soir clair sur le port du Rond-Point.
Avant même que le navire ne quitte le quai, le capitaine descend sur la jetée : Olivier Normand, travesti en Vaslav, distribue bons mots et sourires comme autant de fanaux pour guider les âmes vers l’embarcation. Sa présence magnétique annonce déjà la traversée : créature mi-homme, mi-sirène, il attire et envoûte, promettant un voyage hors du temps.
Dès les premières notes, le spectacle s’élève comme un vent sur la mer. On se laisse vite emporter par la poésie de l’artiste, suspendu à ses lèvres rouges pailletées, mi-humanité, mi-enchantement, qui distribuent chansons et mots comme des perles jetées à l’océan. Sa voix et ses gestes ondulent, fluides et hypnotiques, comme les vagues qui caressent le pont d’un navire. Le répertoire, de Monteverdi à Nirvana, souffle sur la scène comme autant de vents imprévisibles, tandis que la Shruti-box trace une boussole intime pour chaque spectateur embarqué.
Vaslav n’est pas seulement un spectacle : c’est une parenthèse enchantée, un havre où le temps suspend sa course. On se laisse bercer par le roulis des émotions, porté par cette créature hybride, capitaine-sirène, qui tient la barre avec la maîtrise d’un vieux navigateur guidant son équipage avec douceur et bienveillance. Le monde extérieur s’efface derrière le rideau argenté, et l’on savoure pleinement cette immersion poétique, comme si le théâtre devenait une mer secrète et protectrice.
Lorsque le navire regagne le port, chacun repart le cœur habité par le souvenir de cette odyssée fantastique, où fantaisie, liberté et poésie se sont mêlées pour créer un univers unique et envoûtant.
Logbook, a clear evening at the Rond-Point port. Even before the ship departs, Olivier Normand, performing as Vaslav, greets the audience with wit and smiles, casting an irresistible charm like a half-man, half-siren captain inviting them on a timeless voyage. From the first notes, the performance rises like a sea breeze, sweeping spectators into its lyrical flow. With glittering lips, fluid gestures, and a repertoire ranging from Monteverdi to Nirvana, Vaslav enchants with poetry, song, and hypnotic presence, guided by the intimate drone of a Shruti-box. More than a show, Vaslav is a magical interlude where time pauses. The theater becomes a secret sea, steered by this hybrid creature with benevolence and mastery. When the journey ends, the audience departs carrying the memory of a fantastical odyssey that merged fantasy, freedom, and poetry into a singular, spellbinding world.
Au théâtre du Rond-Point jusqu’au 4 octobre 2025 puis en tournée

Photographie principale : Orgueil et Préjugés… ou presque
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CB
