Du choc shakespearien de Makbeth au swing mordant de Chicago, de la légende résistante de Dolores à l’émotion brute de Du Charbon dans les veines : quatre spectacles, quatre raisons d’aller au théâtre tout de suite.
From the Shakespearean shock of Macbeth to the biting swing of Chicago, from the defiant legend of Dolores to the raw emotion of Du Charbon dans les veines: four shows, four reasons to head to the theatre right now.
Chicago : un retour parisien flamboyant
Quand le rideau se lève, c’est d’abord l’ambiance jazzy et sensuelle qui frappe. Le spectacle prouve qu’un musical n’a pas besoin de décors somptueux pour être puissant — l’orchestre, installé sur scène, occupe le cœur du dispositif, tandis que les costumes restent sobres, noirs, légèrement pailletés. Ce dépouillement libère la chorégraphie et l’interprétation. Les corps s’expriment pleinement, chaque geste et mouvement chorégraphié avec une précision impressionnante. Le festival de cuivres, piano et cordes donne vie aux sonorités jazzy originales, avec des numéros comme All That Jazz qui résonnent comme un symbole du show.
L’histoire de Chicago — centrée autour de deux femmes, Roxie Hart et Velma Kelly (interprétées respectivement par Vanessa Cailhol et Shy’m), accusées de meurtre, prêtes à tout pour la célébrité, manipulant médias et justice via l’avocat charismatique Billy Flynn (Jacques Preiss)— conserve toute sa force, même aujourd’hui.
En 2025, cette satire féroce de la célébrité facile, de la corruption médiatique et judiciaire — « meurtre, cupidité, manipulation, trahison » — résonne encore dans notre monde contemporain saturé d’images, de buzz, et d’opportunisme.
Bref : le propos de Chicago est plus actuel que jamais — et cette nouvelle production parisienne le sert avec panache. Le pari d’une production francophone est loin d’être facile. Pourtant, la troupe réunie s’impose avec force. Le spectacle s’appuie sur des interprètes tous solides, capables de tenir ensemble comédie, chant et danse dans un bel équilibre. Le charme opère d’autant plus que le ton reste cynique, parfois mordant, toujours élégant. Le contraste entre la noirceur de l’intrigue (meurtre, corruption, trahison) et la beauté stylisée du spectacle — jazzy, sensuelle, théâtrale — crée une dynamique envoûtante. On assiste à un show total dans ce qu’il a de plus exigeant et de plus pur. Un Chicago à la fois fidèle, percutant et séduisant.
Au Casino de Paris jusqu’au 3 avril 2026
This French‑language production of Chicago delivers a stripped‑down yet intensely stylish jazz musical, with the orchestra on stage, minimal black glittering costumes, and choreography at the center. The story of Roxie Hart and Velma Kelly—two murder‑accused women chasing fame by manipulating the media and the courts through slick lawyer Billy Flynn—feels strikingly relevant in 2025, in a world obsessed with spectacle and scandal. The cast impressively balances acting, singing, and dancing, keeping the tone sharp, cynical, and elegant. The contrast between the dark themes (murder, corruption, betrayal) and the sensual, jazzy staging creates a captivating tension. Overall, it’s a faithful, powerful, and seductive Chicago that proves the musical is more current than ever.

Makbeth : un coup de tonnerre théâtral
Le Munstrum Théâtre frappe un grand coup avec cette relecture fulgurante du chef-d’œuvre shakespearien. Louis Arene signe une mise en scène d’une puissance folle, où le tragique se mêle à une inventivité visuelle et physique qui laisse pantois. C’est une parenthèse hors du temps, un espace suspendu où l’on ne sait plus très bien si l’on regarde un spectacle ou si l’on traverse une vision.
Ce qui saisit, c’est l’esthétique. Chaque scène est un tableau, d’une beauté rarement vue sur un plateau, oscillant entre absurde, violence et onirisme. Le monde de Makbeth que déploie le Munstrum est un territoire de métamorphoses, peuplé de figures à la lisière de l’humain, surgies des ténèbres comme de l’inconscient. Les masques portés par les comédiens apportent une touche supplémentaire à cet univers situé quelque part entre le conte de fées et l’horreur, comme si l’histoire toute entière se déroulait dans un cauchemar baroque et fascinant. Louis Arene, dans le rôle-titre, livre une performance vertigineuse. Son Makbeth est un bloc d’ambition et de fragilité : un homme qui brûle de l’intérieur et qu’on voit littéralement se consumer. Lionel Lingelser compose une Lady Makbeth d’une intensité redoutable, hypnotique, tour à tour stratège, amante, prophète du mal. Entre eux, une tension électrique traverse la scène, comme si chaque mot était chargé de faire basculer le monde. Les comédiens incarnent leurs personnages avec une force incroyable, un abandon total à l’incarnation, jusqu’à la transe. Si l’intrigue écrite par Shakespeare est majoritairement respectée, des libertés sont prises. Le spectateur est prévenu : nous ne sommes pas ici pour assister à un classique dépoussiéré, mais à une expérience sensorielle, brutale, bouleversante. Le texte conserve la poésie noire de Shakespeare tout en tranchant net dans la chair contemporaine. Ici, le pouvoir n’est pas un concept, mais une matière gluante, toxique, qui contamine tout. La mise en scène ne cherche jamais l’illustration scolaire : elle attaque par les sens, précipite dans la nuit, secoue les certitudes. Le spectacle avance comme un rouleau compresseur, implacable, sans temps mort, jusqu’à un final d’une beauté macabre sidérante. Deux heures dix qui filent à la vitesse d’un cauchemar lucide.
On ressort abasourdi, comme traversé par quelque chose de plus grand que soi. C’est une pièce qui marque et dont on se rappellera longtemps. Plus qu’une réussite : un coup de génie.
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 13 décembre
The Munstrum Théâtre’s Makbeth is a dazzling, visceral reimagining of Shakespeare’s tragedy, staged by Louis Arene with extraordinary visual and physical invention. Every scene unfolds like a haunting tableau—somewhere between nightmare, fairy tale, and horror—where masked, almost inhuman figures move through a world of constant metamorphosis. Arene’s Makbeth is a frightening mix of burning ambition and fragility, while Lionel Lingelser’s hypnotic Lady Makbeth radiates menace and desire, their electric onstage chemistry driving the piece. Rather than a classic dusted off, the show becomes a brutal sensory experience: the text keeps Shakespeare’s dark poetry but plunges it into a toxic, contemporary vision of power that infects everything. The performance barrels forward without a single lull to a macabrely beautiful finale, leaving the audience stunned, as if shaken by something larger than themselves—less a success than an outright stroke of genius.

Dolores : l’épopée flamboyante du danseur qui défia les nazis
Le Théâtre La Bruyère accueille actuellement un spectacle qui mêle la paillette du cabaret à l’ombre du Ghetto de Varsovie. Avec « Dolores », la metteuse en scène Virginie Lemoine porte à la scène l’histoire sidérante et trop méconnue de Sylvin Rubinstein, danseur travesti de flamenco devenu un héros de la Résistance. Portée par un texte puissant de Yann Guillon et Stéphane Laporte, la pièce est bien plus qu’une simple biographie : c’est un vibrant plaidoyer pour la liberté, l’identité et la mémoire. Le spectacle s’ouvre sur un Sylvin Rubinstein âgé (incarné par Olivier Sitruk), revenant sur les lieux de ses débuts, le cabaret L’Adria. Devant un serveur, il déroule le fil de son existence extraordinaire, celle qu’il partageait avec sa sœur jumelle, Maria, sa partenaire de danse, alias Dolores. L’histoire est une tragédie chorégraphiée : le duo flamboyant « Imperio et Dolores » est brisé par la montée du nazisme. De la légèreté de la danse, on bascule dans l’horreur du Ghetto. C’est là que le destin de Sylvin se déchire et se forge : dévasté par la perte, il se métamorphose, empruntant l’identité, le nom et les robes de sa sœur pour devenir « Dolores », un ange vengeur, redoutable combattant au sein de la Résistance polonaise. La force de la pièce réside dans cette exploration magistrale de l’identité. Le travestissement n’est pas un artifice, mais un acte de survie, un hommage et une arme. Le cœur battant du spectacle, c’est le flamenco. Les passages de danse, assurés par les magnifiques Sharon Sultan et Ruben Molina, ne sont pas de simples interludes : ils sont le langage non-dit de l’amour, de la colère et du deuil. Ces moments chorégraphiés sont absolument électrisants et servent de catharsis aux moments les plus sombres de l’histoire.
Dolores est un spectacle complet, qui émeut, instruit et émerveille par sa puissance visuelle et sonore. En nous racontant l’histoire de ce danseur de flamenco qui est devenu une icône de la Résistance, la pièce nous rappelle que l’héroïsme peut prendre les visages les plus inattendus.
Au Théâtre Actuel La Bruyère jusqu’au 26 avril 2026
At Théâtre La Bruyère, Dolores blends cabaret glitter with the Warsaw Ghetto’s shadows, bringing to life the astonishing, little-known story of Sylvin Rubinstein—a flamenco travesti dancer turned Resistance hero. Directed by Virginie Lemoine from Yann Guillon and Stéphane Laporte’s powerful text, it’s more than biography: a passionate plea for freedom, identity, and memory. Olivier Sitruk’s aged Sylvin recounts his life with twin sister Maria (his dance partner « Dolores ») to a waiter at cabaret L’Adria, from dazzling duo « Imperio et Dolores » shattered by Nazism to Sylvin’s transformation into « Dolores »—donning her identity, name, and dresses as a vengeful fighter in the Polish Resistance. The masterful exploration of identity turns cross-dressing into survival, tribute, and weapon. Electrifying flamenco by Sharon Sultan and Ruben Molina speaks unspoken love, rage, and grief, serving as catharsis. A complete spectacle that moves, educates, and dazzles, reminding us heroism wears unexpected faces.

Du Charbon dans les veines : rires, larmes et mémoire des mines.
Jean-Philippe Daguerre signe avec Du Charbon dans les veines une fresque sensible et populaire, qui plonge le spectateur au cœur d’un village minier du Nord dans les années 1950. À Noeux-les-Mines, l’amitié indéfectible de Pierre et Vlad, deux mineurs passionnés de musique, se trouve bouleversée par l’arrivée de la lumineuse Leïla. La pièce séduit d’abord par l’authenticité de son atmosphère. L’ambiance de village est parfaitement restituée : on se sent proche de cette famille et de ces « petites gens », à la vie simple mais rude, marquée par les dangers du métier. On ne regarde pas seulement des scènes : on les vit, immergés dans une réalité touchante et universelle. La mise en scène, fluide et dynamique, enchaîne les séquences sans temps mort. Décors immersifs, musiques et chants ponctuent le récit, donnant au spectacle le rythme d’un feuilleton en direct. La troupe, remarquable de sincérité, incarne avec justesse des personnages auxquels on s’attache immédiatement. On rit, on est ému, et l’on quitte la salle le cœur lourd mais enrichi, avec le sentiment d’avoir partagé un morceau de vie.
À travers cette histoire d’amitié, d’amour et de mémoire ouvrière, Daguerre propose un théâtre à la fois accessible et exigeant, où l’émotion prime toujours. Du Charbon dans les veines s’impose comme un spectacle généreux, populaire dans le meilleur sens du terme, et l’un des rendez-vous incontournables de la saison théâtrale.
Au Théâtre du Palais Royal jusqu’au 4 janvier 2026
Jean-Philippe Daguerre’s Du Charbon dans les veines is a heartfelt, popular portrait of a 1950s mining village in Northern France. Set in Noeux-les-Mines, it follows the unbreakable friendship of Pierre and Vlad, two music-loving miners, disrupted by the arrival of the radiant Leïla. The play captivates with authentic village atmosphere, immersive sets, music, and singing that bring the simple, tough lives of its characters vividly to life. The dynamic staging keeps the story flowing like a live serial, while the sincere cast creates instant attachment. Combining friendship, love, and working-class memory, the piece balances accessibility with depth, making Du Charbon dans les veines a generous, essential theatrical event of the season.

Photographie principale : © Fabrice Robin
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CB
